L''éveil de Claire / Signé Michel Canal



Érotique

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Extrait

L'éveil de Claire

Roman

 

Michel Canal

Saint-Denis de la Réunion, samedi 16 mai 1987

 

Je n’avais encore jamais vécu pareille émotion pour un homme depuis que je m’employais à vouloir devenir Femme. Ce jour où j'ai joui intensément pour la première fois, guidée par sa voix, sera à jamais gravé dans ma mémoire. Aucun autre n'y était parvenu. Intimement persuadée que le déclic s'est produit, j’ai pris la décision d’ouvrir ce Journal et d’y relater tout ce que cet inconnu, dont je ne connaissais que la fonction et qui m’a dit s’appeler Eric, fera naître en moi de sensations et d’émotions. Car "Chacun a les émotions qu’il mérite " (André Suarès – Goethe, le grand européen).

Un retour en arrière est nécessaire pour éclairer le sens de ma démarche. A vingt-trois ans (bientôt vingt-quatre), bien que je ne sois plus vierge, je ne connais de la sexualité que ce que j’ai lu dans les livres et vu au cinéma. La jeune femme que je suis, bien sous tous rapports aux yeux de la société, auparavant enfant obéissante, puis écolière studieuse et enfin étudiante brillante, dont la famille est fière à juste titre, n’a aucune vie affective autre que familiale, a tout à découvrir des sentiments, des désirs et des étreintes qui rapprochent deux êtres.

Après avoir analysé la situation avec lucidité, je n’entrevoyais que deux moyens à mettre en œuvre pour espérer pouvoir partager des moments de tendresse et connaître le plaisir, vivre une sexualité épanouie : m’instruire, puis trouver un amant expérimenté. Ces deux moyens étaient à mes yeux complémentaires et indissociables. C’est ce que j’ai fait lorsque la fin de mes études m’en a laissé le temps.

Dans ma quête d’un amant qui pourrait m’initier aux plaisirs charnels, le plus difficile a été de faire illusion le temps de tester l’interlocuteur que j’appelais. Il ne devait pas se rendre compte que la jeune femme en apparence délurée qui lui demandait de la faire jouir était en réalité tout le contraire d’une amante accomplie. L’inconnu que j’ai appelé aujourd’hui, différent de tous les autres, m’a bouleversée. Il a su trouver les mots et le mode d'emploi pour me faire jouir.

Faut-il croire aux signes du Ciel ? J’avais le pressentiment, en me levant ce matin, que l’aube naissante annonçait un jour d’allégresse. J'ai savouré ma tasse de café autrement, j'ai été plus attentive à la progression de la lumière du soleil sur la végétation du jardin, les oiseaux semblaient piailler plus intensément que d’habitude. J’étais plus rayonnante, comme si une bonne fée m’avait insufflé un pouvoir capable de sublimer tout ce que j’entreprendrais. Je devais d’ailleurs être nimbée d’une aura perceptible puisque les collègues et élèves avec lesquels j’ai été en contact m’ont paru rivaliser d’attentions à mon égard, comme s’ils obéissaient à un décret cosmique leur enjoignant de me ménager et de m’être agréables.

Parce que c’était samedi et que ma journée de cours se terminait à onze heures, j’ai appelé X un peu avant midi. J’espérais qu’à l’heure de la fin du travail, il serait disponible et accepterait de répondre à ma sollicitation osée, la même que je débitais, après les formules de politesse, à tous ceux auprès desquels j'avais tenté ma chance : « J’ai très envie de jouir, faites-moi jouir ! »

Ceux que j’avais appelés auparavant réagissaient à la voix charmeuse et sensuelle selon trois types de comportements. Les offusqués manquaient de s’étouffer, brandissaient la morale et raccrochaient rageusement. Ceux que je dérangeais à un moment inopportun m’envoyaient promener tout en restant courtois, sauvant la face j'imagine parce qu’ils n’étaient pas seuls dans leur bureau, avec parfois une pointe de regret perceptible. Les autres se piquaient au jeu, considérant mon appel comme une aubaine à ne pas laisser passer. Mais ils manquaient d’imagination pour m'exciter et atteindre le plaisir, versaient dans la vulgarité, me proposaient un rendez-vous que je déclinais. Aucun ne s'est intéressé à la raison qui motivait ma démarche.

Premier signe du destin, c’est lui-même qui m’a répondu. Je n’ai pas eu à mentir à une secrétaire filtrant les communications. J’ai eu l’impression, sans pouvoir déterminer pourquoi, que mon appel était attendu, désiré.

Prudent, il s'est assuré que ce n'était pas une plaisanterie. Il est normal qu’un personnage exerçant des responsabilités s'assure qu’un appel aussi singulier n’est ni une plaisanterie, ni un traquenard pour le prendre en défaut. Je lui ai donc précisé que ma sollicitation était réelle et désintéressée, que je ne le connaissais pas et qu'il était probable qu'il en soit de même pour lui, que le rencontrer n'était pas mon objectif absolu. Bien évidemment, un homme ne pense pas spontanément qu’une femme puisse lui demander de la faire jouir sans se rencontrer.

Rassuré sur ce point, j'ai gardé la main en titillant son ego. Je l'ai placé devant une alternative :

— Soit mon attente ne vous intéresse pas et nous en restons là, je serai l'inconnue qui vous aura interloqué par la bizarrerie de son appel. Soit vous acceptez le challenge de répondre à mon désir pour un plaisir partagé, à renouveler éventuellement.

Il a compris que je lui avais habilement lancé un défi, auquel sa fierté l'empêchait de se dérober.

Alors j’ai usé d’un argument qui avait toujours bien fonctionné. Les hommes ont une préférence pour les femmes dociles et soumises. Je lui ai dit au mot près : 

— C’est ainsi que fonctionne mon désir. J’aime qu’une personne que je ne connais pas mais que j’ai choisie, m’ordonne ce que je dois faire.

Allumeuse, j’ai rajouté : 

J’ai besoin d’une voix inconnue pour me désinhiber. Dois-je en dire plus ? 

J’étais attentive pour la réponse à venir. L’amplificateur mains libres n’était pas de trop pour ne rien perdre de chaque mot que celui qui était encore un inconnu allait dire, ni pour interpréter les blancs éventuels. Il s’en est bien sorti, retournant même la situation à son avantage. Il s’est présenté, m’avouant se prénommer Eric. J’en ai fait autant. Il a rebondi avec humour, suggérant de faire connaissance, m'invitant à me décrire pour m'imaginer dans mon environnement.

Je pense avoir fait fort pour éveiller son désir en lui décrivant les effets du mien, en soulignant mon absence de tabous et ma disposition à me soumettre :

— J’ai défait plusieurs boutons de ma robe, sous laquelle je suis nue. L’insolente provocation de mes seins donne envie de les prendre à pleines mains. Mon ventre fond de désir. Saurez-vous être un virtuose pour diriger la symphonie de mon plaisir ? Considérez que je n’ai pas de tabous, que je suis disposée à vous obéir en tout ce que vous me demanderez. 

Trahie par ma voix et un soupir appuyé, il a deviné que je n’avais pas résisté à la tentation de me caresser. J’ai apprécié sa manière de me diriger, celle d'un homme qui a l'expérience des préliminaires pour amener une femme à son point de fusion. D'abord les seins jusqu'au plaisir, méthodiquement, patiemment, jusqu'à la jouissance sauvage et douloureuse en les pressant à pleines mains jusqu'à l'extase. Puis, les yeux fermés à sa demande pour plus de sensations, un doigt léger envoyé en éclaireur sur l'onctuosité du désir dans le sillon des lèvres de mon sexe s'ouvrant davantage à chaque passage, plus d'ampleur au mouvement de mon majeur jusqu'à la tige cachée du clitoris (qu'il a appelé joliment le bouton d'amour), trouvant le bon rythme pour laisser enfler les vagues de plaisir jusqu'au moment où la déferlante m'a fait vaciller. Je faisais l’amour à sa voix, mes gémissements n’étaient pas feints. Je me suis vraiment laissé aller et mon plaisir m’a entraînée dans un tourbillon d’explosions. J’ai été surprise de me retrouver dans cette posture, toute dégoulinante de ma jouissance, entre deux états de conscience, tellement bien que j'aurais voulu figer la course du temps sur cet instant.

J’ai enfin réalisé que j’étais en ligne avec Eric, craignant dans un silence réciproque que la communication fût interrompue. Eric m’avait accompagnée dans mon plaisir et semblait revenir de loin lui aussi.

Je lui ai demandé s'il voulait bien poursuivre notre conversation pour faire plus ample connaissance. Il a été d'accord, nouveau signe du destin. Cependant, il n'a pas souhaité parler de lui, esquivant avec humour, préférant rester un prénom, une voix, le souvenir d'un plaisir anonyme. Bien que surprise, j'ai tout de même apprécié. Les autres ne parlaient que d'eux, se vantant de leur succès auprès des femmes, ou de leurs attributs. C’est donc de moi que nous avons parlé. Perspicace, précis pour poser ses questions, il a su déceler que l'effrontée qui l'avait appelé forçait sa vraie nature. Il m'a fait extrêmement plaisir, avouant aimer ma personnalité, avec sa part de mystère et d'inconnu.

Je n'ai pas pu esquiver la question :

Pourquoi une jeune femme si bien, au profil de bourgeoise aussi brillante, sollicite-t-elle un inconnu pour la faire jouir ainsi, sans vraie relation ?

— J’aurai l’occasion de vous en dire plus, monsieur qui sait poser les bonnes questions, quand le moment sera venu, m'a permis de me projeter dans un futur.

Parce qu’il a su habilement flatter mon ego, me faire rêver, j’étais sous le charme et j’ai eu envie qu’il me rejoigne. C’était contraire à la ligne de conduite que je m’étais fixée, mais je n’ai pu résister. Ma demande ainsi formulée :

— Je me sens vraiment à l’aise et en symbiose avec toi. Tu sais quoi ? Si je m’écoutais, je te demanderais de me rejoindre. J’ai très envie de toi, mais pas seulement de ta queue (j'ai osé prononcer le mot). Il me serait très agréable d'être allongée à tes côtés, au contact de ta peau, de te toucher, de te caresser, de respirer tes parfums, celui de ton corps avant et après l'amour. Combien j'apprécierais de me blottir dans tes bras protecteurs, de m’abandonner à tes doigts caressants. Combien j'aimerais sentir ma peau se hérisser de frissons, soupirer sous le plaisir, me perdre, gémissante, dans l'extase d'une étreinte délicieuse. Est-ce que tu viendrais si je te le demandais ?

Il pouvait difficilement résister à mon invitation.

Je reconnais que j'ai été une allumeuse. Cependant, là encore il a bien réagi. Alors que tous les autres n’avaient envisagé que cela quand je ne le souhaitais pas, celui que j’invitais à me rejoindre préférait rester dans l’ombre.

« Laisser la pensée vagabonder vers de nouveaux désirs » m'a-t-il dit.

Sur le moment, j’ai accusé le coup, avant de convenir qu’il avait raison. Je ne suis pas prête, à quoi bon me mentir à moi-même. Comme à toute chose malheur est bon, son refus me projetait vers lui avec plus de force et de détermination et j'ai compris que je pouvais lui faire confiance.

Parce qu'il a eu la sagesse de décliner l'invitation à me rejoindre, j'ai usé d'un moyen détourné pour lui donner envie de moi : 

— J’ai encore très envie de jouir. Je me caresserai en pensant à toi, en imaginant tout ce que nous aurions pu faire si tu étais venu me rejoindre.

Il m'a traitée gentiment d'allumeuse démoniaque. Nous sommes convenus que je le rappellerais lundi à 17 h 30. Nos derniers échanges ont été empreints d'humour :

— A lundi donc ! Je vous souhaite un bon week-end, mon amant inconnu à qui je penserai très fort.

— Bon week-end à vous aussi, femme surprenante habitée par le désir. Ne faites pas trop de folies de votre corps. 

J’ai eu l’impression que tout vacillait autour de moi lorsque j’ai raccroché sur ses dernières paroles. J'étais dans un mélange de sensations jamais observées auparavant, convaincue que j'avais accroché la bonne personne, émue de ne plus l'entendre, encore habitée par le désir qui irradiait dans mon ventre. Mon coeur cognait plus fort dans ma poitrine, mes seins tumescents et douloureux me rappelaient leur jouissance sauvage.

Il m'avait dit « Ne faites pas trop de folies de votre corps. » En fait, je me suis empressée de faire le contraire, dans la volupté d’un bain moussant. Je voulais fixer le souvenir de ce premier entretien avec Eric, retrouver toutes les sensations de mes caresses, guidées par sa voix qui résonnait encore au plus profond de mes centres émotionnels.







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